Ne me quitte pas…

Anne Sophie Baril | 21 octobre 2022 | Aucun commentaire
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Big quit et quiet quitting… le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y a de l’évasion dans l’air… Les entreprises ont-elles définitivement perdu leurs collaborateurs ? On tente de faire – au moins un peu – le point là-dessus. Et si la réponse se trouvait dans le S de RSE afin de redonner du Sens à l’engagement de chacun ?

Avec 520 000 démissions en un trimestre en France fin 2021-début 2022 (record de 2008 battu), il s’agit d’une tendance lourde. Certains économistes y voient un simple phénomène d’offre et de demande : « Le marché du travail a été extraordinairement dynamique, avec énormément de créations d’emplois », a ainsi déclaré Bertrand Martinot, économiste spécialiste de l’emploi à l’Institut Montaigne, à la rédaction d’Europe 1. « (….) Beaucoup de salariés utilisent cette vigueur (…) pour se repositionner sur d’autres emplois et tout simplement aller voir ailleurs si les conditions salariales de travail sont meilleures ».

Certes. Mais cette logique toute statistique et libéraliste est sans doute un peu simpliste.

Car cette envie de la liberté au détriment de la sécurité s’accompagne d’un autre phénomène, tout aussi palpable : le Quiet Quitting, ou démission silencieuse. Cette fois, on ne quitte pas son emploi, mais on s’en désengage au maximum. Selon une récente étude du cabinet Gallup, seuls 6% des actifs sont dévoués à leurs tâches. 94% ne le sont donc pas, et 25% d’entre eux se disent totalement désengagés. Là encore, un record.

L’histoire du regard… de l’autre

Ces données cumulées (qui d’ailleurs ne sont pas générationnelles) montrent que le phénomène de divorce entre les individus et les organisations est donc plus complexe et profond qu’un simple opportunisme de marché.

Les raisons sont sans doute nombreuses : télétravail qui éloigne l’individu de l’Organisation et du collectif, où le « je » reprend du poids sur le « nous », recherche de flexibilité… Mais au-delà, il s’agirait aussi d’arguments plus profonds, comme l’indiquent plusieurs études.

On pourrait y voir, par exemple, ce que la psychologie nomme le choc post-traumatique. Un peu comme ceux qui ont eu dans leur vie l’occasion (à cause d’une maladie, d’un accident…) de projeter leur propre fin imminente et s’en sont sortis, questionnent leur modèle et leurs priorités. Et si certains y sombrent, d’autres au contraire, en déduisent l’urgence de vivre différemment, et si possible mieux.

Une enquête menée par Morning Consult pour Ultimate Kronos Group, d’abord. Début 2022, le cabinet a interrogé 1 950 employés démissionnaires et 1 850 employeurs confrontés aux démissions pendant la pandémie. Elle montre qu’en France, ce sont les conditions managériales qui ont principalement poussé les Français à quitter leur poste, et le manque de valorisation, serait la cause principalement citée.

Une autre étude plus récente, le baromètre Imagreen/Kantar, montre que 90 % des salariés estiment la situation sociale et environnementale préoccupante, et 76 % d’entre eux déclarent la prendre en considération. Que 3,7 millions de salariés ressentent un décalage entre convictions et quotidien en entreprise, allant jusqu’à l’impression d’une dissonance cognitive pour 4 salariés sur 10.

Quelles conséquences ?

« En plus de peser fortement sur le moral et la vie privée, ce désengagement et cette dissonance ont des conséquences dans l’entreprise : baisse de la prise d’initiatives, retard dans l’exécution des tâches qui manquent de sens, remise en question de la stratégie d’entreprise et des décisions, conflit avec les collègues (…) » a expliqué Justin Longuenesse, Président d’Imagreen, à la rédaction de l’ADN. Ce fameux quiet quitting n’est donc pas sans conséquence. Et peut-être tout aussi dangereux, moins violent mais plus pernicieux, qu’une franche démission.

Alors l’entreprise, les organisations en tant que référents, ont-elles définitivement perdu les collaborateurs ?

Pas si simple, là encore. Car si la quête d’une herbe plus verte est bien une réalité, l’imaginer plus verte ne la rend pas forcément réellement plus verte. C’est ce que montre aussi l’étude menée par Morning Consult pour le compte d’Ultimate Kronos Group : quelques mois après leur départ, près de 63 % des salariés français ayant démissionné le regrettaient, et seuls 24 % d’entre eux se disaient « extrêmement satisfaits » de ce choix. Par ailleurs, et malgré un marché du travail ultra-dynamique, seulement un tiers d’entre eux avaient retrouvé du travail. Et on assiste désormais à quelques retours des fuyards. On appelle cela l’effet boomerang.

Alors, n’y a-t-il plus qu’à attendre pour que la situation se rééquilibre ? Que le marché se tende à nouveau ? Que les fuyards regagnent d’eux-mêmes le nid, pleins de désillusions ? On peut. Et peut-être que l’avenir donnera raison à ce cynisme-là.

Mais voilà, la situation, pour l’instant, confirme le dynamisme de l’emploi en 2022, alors, on peut peut-être aussi en profiter pour tenter de changer, en mieux.

Les études citées montrent qu’il s’agit de « sens » (y compris une étude menée par la DARES sur l’emploi pendant le COVID), de responsabilité individuelle et de respect aussi. De l’individu mais aussi plus largement du collectif, de la Terre… L’engagement ne serait donc pas mort, mais renforcé, à la fois rétracté à l’individu et sa vie immédiate, et dilaté pour passer au niveau d’un écosystème plus large que le simple métro/boulot/dodo.

Quelle place pour l’entreprise ?

Il ne s’agit pas de tomber dans le greenwashing. De belles paroles, des discours descendants sur de pseudo vertus environnementales… il semblerait que cela ne soit plus vraiment audible aujourd’hui. Car si, selon un sondage Harris Interactive publié au printemps, plus de 8 Français sur 10 jugent les engagements RSE prioritaires en entreprise et 77% en font un critère important, voire prioritaire, de choix pour venir y travailler, 57% des sondés estiment que “les entreprises engagées en France sont peu nombreuses, voire marginales” et 33% que les engagements des sociétés relèvent “d’une stratégie marketing uniquement”.

Parce que peut-être, finalement, tout le monde a compris que changer de modèle pour faire moins d’impact n’est pas une mince affaire quand il s’agit d’industrie, de transport…, et que personne n’est dupe sur le fait que cela nécessite des évolutions profondes, lourdes, longues, et coûteuses…

En parallèle, peut-être serait-il judicieux de s’attaquer aussi à une autre lettre que le E, dans cette « RSE ». En plus, et en attendant. Le S.

Toujours selon le sondage Harris, 53% des sondés jugent que “les entreprises n’agissent pas assez en faveur de l’égalité des chances sans distinction d’âge, de genre, d’origine ou de parcours professionnel” par exemple.

Mettre en place des systèmes et process permettant d’écouter davantage les collaborateurs, de leur donner la possibilité de s’impliquer individuellement dans le collectif et un projet « entreprise » élargi… en plaçant non pas l’entreprise uniquement dans sa sphère historique d’acteur de l’économie, mais aussi en lui donnant une raison d’être de dimension sociétale… et un quotidien plus respectueux des individus et de leurs besoins et aspirations.

Voilà des chantiers sans doute plus immédiatement réalisables. Et qui auraient une autre grande vertu : celle de permettre d’imaginer le « demain », et les changements qu’il nécessite, y compris environnementaux, avec un maximum d’intelligences et de compétences. Evidemment, ce n’est pas suffisant, mais cela permettrait sans doute aussi, au passage, de le minorer ce « quitting » tous azimuts, rapidement.

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