A quoi ressemblera la e-machine à café ?

Anne Sophie Baril | 9 juin 2023 | Aucun commentaire
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La machine à café au bureau a beaucoup intéressé les anthropologues parce qu’elle est porteuse de rites – des comportements qui n’ont pas d’utilité en soi, sauf celle de signifier un type de relation. La machine à café, c’est l’occasion de rappeler qui on est, et se dire bonjour. C’est un lieu de reconnaissance, de partage du « contrat » qui nous lie à nos collègues, à nos employeurs, et de partage tout court.

Un éclat d’informel au milieu du cadre. Un lieu où se sentir bien, un peu dégagé des contraintes normatives environnantes. Certains ont même démultiplié le concept, – avec le coin baby foot, les fléchettes… Ils en ont même fait un métier : le Chief happiness officer, chargé d’organiser la convivialité au sein du lieu « entreprise ». Une fonction créée par un ingénieur Google au début des années 2000 et qui s’est développée malgré les railleries (entre CHO et GO, la frontière semblait bien ténue pour certains) et les remises en cause.

Car si leur nombre est difficile à estimer précisément (cette fonction n’étant pas officiellement identifiée comme un métier et souffre donc d’un manque de statistiques), il suffit d’une simple recherche sur le réseau Linkedin pour en comprendre la réalité : depuis le profil de votre rédacteur préféré, une petite recherche montre que 1700 personnes s’identifient directement à ce poste, et 5300 l’évoquent dans leurs fonctions. Un développement qui s’est accéléré depuis l’épisode COVID et qui s’est aussi vu réinventé dans un concept et des fonctions plus larges, liées à la QVT.

Et la machine à café, c’est aussi le lieu des potins.

Les potins, en dehors de leur croustillance et du subtil parfum de culpabilité qu’ils peuvent parfois dégager, ont de véritables qualités, semble-t-il.

Ils permettent de transmettre les valeurs d’un groupe et de créer du lien. Et ils nous font du bien : une étude menée par des chercheurs de l’Université de Pavie, en Italie, et publiée dans The Official Journal of International Society of Psychoneuroendocrinoly a démontré que le partage de potins permettait de produire davantage d’ocytocine. Cette hormone a un rôle dans différents comportements, comme l’orgasme, la reconnaissance sociale, l’empathie, l’anxiété, les comportements maternels, etc. On l’appelle aussi l’hormone du plaisir, du bonheur, de l’attachement.

Et (comble du bonheur), suivant cette même étude, les potins négatifs impactent davantage les personnes que les potins positifs ! Bref, régalons-nous à la machine à café, c’est bon pour l’ocytocine et pour la relation humaine au sein du groupe !

Sauf que la machine à café, jusqu’à nouvelle ordre, c’est un lieu physique. Alors peut-elle continuer à exister, et comment s’hybridera-t-elle en ces temps où le travail s’hybride, où l’on est moins souvent sur son lieu de travail ?

Espaces partagés, virtuels…

Des pistes existent déjà. Elles sont d’abord dans le monde réel. Une étude menée en 2020 la direction générale du Trésor estimait qu’il était possible d’améliorer les effets du télétravail en utilisant des tiers-lieux (où il y a une machine à café, donc), des espaces de coworking par exemple. Les conditions de travail y sont bonnes et les interactions et les échanges facilités.

D’ailleurs, les tendances sur ce secteur confirment ces pistes : les espaces de coworking ont connu une croissance de 20 % en 2022 en France, passant de 2187 espaces en 2021 à 3720 fin 2022 (étude Ubiqdata, 2022). Des solutions aujourd’hui choisies par les indépendants (qui en ont été les premiers utilisateurs), mais aussi désormais par les grandes entreprises, qui en accélèrent l’usage, et, c’est nouveau, même par les PME.

Côté virtuel, dès le premier confinement, nombreux ont été ceux à organiser des moments informels entre collaborateurs, des moments conviviaux ou créatifs grâce aux nouveaux outils qu’ils devaient gérer dans le contexte professionnel, ces « zooms », pour ne citer que l’un des services de vidéoconférence basés sur le cloud et aujourd’hui .

Chez Kalaapa, c’est d’ailleurs à cette époque que nous avons décidé de mettre en place nos « Matinales ». Des moments d’échanges à distance, ouverts à tous et destinés tout à la fois à rompre l’isolement et à créer des bulles de convivialité et de créativité dans le cadre du travail. Ces rendez-vous, plébiscités par les participants, ont été maintenus.

Nombreux sont aussi ceux qui travaillent à développer des univers virtuels les plus expérientiels possible, plus « immersifs » via des avatars, en réalité augmentée aussi. Mais ces rendez-vous virtuels, bien qu’ils se veuillent proches des fonctions de « la machine à café », sont-ils capables d’en assumer pleinement le rôle ?

Histoire de générations ?

Peut-être que la réponse est multiple.

Avez-vous des adolescents autour de vous ? Si oui, vous voyez exactement de quoi nous allons parler maintenant. Eux fonctionnent depuis plusieurs années déjà au sein d’univers virtuels, où ils ont leurs avatars, et où ils interagissent en direct, de manière tout à fait naturelle et spontanée, autour de quêtes par exemple.

Ils discutent tout simplement, du jeu et d’autres choses, et passent de longs moments ensemble. Ils ont grandi avec cette technologie, ce monde virtuel, celui des jeux (vidéo) en ligne.

Les premiers datent du début des années 1970, mais le phénomène a littéralement explosé ces quinze dernières années. Quelques exemples : Minecraft, Fortnite, Call of Duty, Roblox… Selon Statista (l’un des principaux fournisseurs de données sur les marchés et les consommateurs), en 2022, en France, il y avait près de 2,9 millions d’abonnés aux services de jeux vidéo en ligne (contre 2M en 2017). Finalement, le « Meta » existe depuis longtemps, à travers ces jeux-là.

Bien sûr, les adolescents ne sont pas les seuls utilisateurs de jeux en ligne. Et de nombreux adultes en sont tout à fait familiers. Mais la génération Z et surtout la suivante en sont tout particulièrement imprégnés. Pour toutes ces populations, le rapport au virtuel et les rapports humains virtuels n’ont pas tout à fait (pas du tout) le même sens. Pour eux, la e-machine à café est sans doute… naturelle.

En attendant, et pour les autres, si on l’inventait ensemble, la e-machine à café du moment ?

Vous en pensez quoi, vous, de ce concept-là ?

En attendant, voici un podcast tout à fait passionnant sur le sujet de cette fameuse « machine à café ».

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